Eglise Saint-Michel de Wihr

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Cet édifice est particulier à plus d'un titre. Notons tout d'abord qu'il est peu connu du grand public. En effet, il présente une dimension modeste, comparée aux églises plus connues du couloir rhénan. Cependant, il mérite une visite et des attentions spécifiques. Ses origines remontent au XIVème siècle et il renferme en son sein des peintures murales datées de 1511 et intégralement conservées (voir panoramique en page d'accueil).

 

Un peu d'histoire...

On peut supposer qu'à l'emplacement de l'église actuelle se trouvait au temps des Romains (Horbourg était alors cité romaine), un temple consacré au dieu Mercure. Beaucoup de ces temples sont devenus par la suite des chapelles dédiées à Saint-Michel (on peut faire un parallèle avec l'église Saint-Michel d'Ottmarsheim, qui a conservé la forme octogonale caractéristique des temples dédiés à Mercure).

Au XIVème siècle, elle n'était qu'une petite chapelle de recueillement sise au milieu d'un cimetière. Celui-ci fut déplacé en 1851 derrière l'église, sur une parcelle qui jouxtait l'enceinte à l'est. C'est aussi à cette période que fut remanié le mur de façade de la nef, auquel on a ajouté deux fenêtres et un oculus pour éclairer les tribunes et le grenier.

Au XVème siècle, le village de Wihr était possession des Habsbourg-Autriche. En 1478, ceux-ci le donnèrent en fief aux seigneurs de Ribeaupierre établis sur les hauteurs de Ribeauvillé, qui firent agrandir la chapelle pour en faire un lieu de culte à part entière. Ce sont eux aussi qui décidèrent de faire peindre le coeur au début du XVIème siècle. Après la Guerre de Trente Ans, les Ribeaupierre et leurs successeurs gardèrent Wihr, mais comme fief du roi de France. Wihr fut rattaché à la France à la Révolution Française et l'église fu vendue comme bien national.

Le blason des Habsbourg et celui des Ribeaupierre, taillés dans la pierre, figurent sur l'édifice. Celui des Ribeaupierre, a été endommagé (martelé) pendant la Révolution. Il convient de signaler qu'il est très rare de trouver des blasons de familles nobles sur des édifices religieux.

Les habitants du village de Wihr choisirent la religion protestante après 1550. En effet, le village étant donné en fief aux Ribeaupierre, ceux-ci ne pouvaient pas imposer la religion protestante qu'ils venaient d'adopter, comme pouvaient le faire les seigneurs dans leurs propres terres. Les habitants optèrent donc volontairement pour la religion de leurs seigneurs. Ils recouvrirent alors les peintures murales, qui n'avaient pas lieu d'être dans une église protestante (dans un esprit iconoclaste), d'un badigeon de chaux qui les protégea durant 350 ans. Ce fut le pasteur Herrenschneider (pasteur-historien des villages de Horbourg et de Wihr de 1850 à 1899) qui, s'intéressant de près au coeur de l'église, découvrit avec l'aide de l'architecte Winckler, la richesse des peintures murales du coeur. En 1888, deux mois seulement furent nécessaires pour retirer le badigeon et découvrir la splendeur des peintures..

La Guerre de Trente Ans laissa la désolation dans le village de Wihr: celui-ci fut décimé, son église fut rendue inutilisable par les déprédations. Les habitants du village furent alors contraints de se déplacer dans les villages voisins de Horbourg et d'Andolsheim pour pouvoir suivre les offices religieux. Cela dura environ 150 ans, jusqu'à ce que tout l'argent nécessaire à la restauration de l'église fut enfin rassemblé sans être dilapidé pour d'autres causes. Lorsque l'église fut rendue au culte vers 1800, elle fut partagée entre les confessions protestante et catholique (simultaneum), comme l'attestent les deux autels que l'on peut y voir. Pour la petite histoire, il est à noter que le mobilier appartenait à la paroisse protestante qui le louait à la paroisse catholique contre quelques sous.

Les guerres suivantes laissèrent également leurs traces dans l'église, surtout la dernière : le plafond s'était effondré et les vitraux furent détruits. Ceux-ci furent remplacés lors des travaux de consolidation au début des années 1950 par l'artiste verrier Tristan Ruhlmann, grâce aux dommages de guerre. A la même époque, quatre contreforts placés latéralement à l'extérieur contre les murs goutereaux vinrent renforcer la nef.

Construit sur un plan simple et orienté, l'édifice possède une nef à vaisseau unique. et une tour-clocher qui accueille le coeur. De toute l'église, seul le clocher, datant des XIVème - XVème siècles, n'a jamais été endommagé depuis. Le style des ouvertures de ce clocher mérite également une attention car on peut remarquer que ce sont les premiers essais d'une architecture gothique. La sacristie a été adjointe au nord du clocher après le XVIème siècle. On y accède par une porte percée sur le côté nord.

L'emplacement de l'église, excentré à l'est du village, correspond au point culminant de la commune, et donc le plus sec. C'est pour cette raison que l'on a choisi cet emplacement, protégeant ainsi l'édifice des risques d'inondation. Il succède à un édifice plus ancien indéterminé, dont les fondations ont été aperçues lors de travaux en 1973. L'hypothèse d'une construction antérieure d'époque antique n'a pas pu être confirmée, même si l'on peut observer la présence d'un fragment de bas-relief gallo-romain dans le mur d'enceinte sud, et d'un bloc en réemploi dans la tour qui comporte l'inscription latine MATER (mère).

Les deux curiosités abritées par notre petite église sont les vitraux de l'époque moderne et les peintures murales du XVIème siècle.

 

Les vitraux

L'unique nef de l'église, large de 7 mètres et longue de 16, n'est éclairée que par 4 fenêtres. Les formes différentes de ces fenêtres attestent qu'elles datent de deux époques :

- petites et simples près de l'entrée, dans la partie ajoutée à la fin du XVème siècle;

- grandes à deux ailes surmontées d'un travail en forme de bulles dans la partie la plus ancienne qui date des XIVème - XVème siècles.

Comme nous l'avons signalé plus haut, les vitraux furent remplacés après la guerre. Ils résument à eux seuls toute l'histoire de la Bible. Il y a donc un ordre chronologique à respecter pour la visite. Il convient de débuter par la première fenêtre à gauche de l'entrée et de poursuivre dans le sens des aiguilles d'une montre. Les deux premières fenêtres résument l'Ancien Testament (La Création du Monde et l'Histoire du Peuple Juif), les deux suivantes le Nouveau Testament (La Passion du Christ et la Résurrection).

Première fenêtre : LA CREATION DU MONDE

En haut, la main de Dieu crée le monde. Plus bas, on reconnaît le serpent tentateur enroulé autour de l'arbre de la connaissance et le fruit défendu.

Deuxième fenêtre : L'HISTOIRE DU PEUPLE JUIF

En haut, un chandelier à sept branches. Le reste du vitrail se lit d'en haut à gauche vers le bas et ensuite d'en haut à droite vers le bas. L'arche de Noé - l'échelle dont a rêvé Jacob en voyage - une étoile, allusion à la nombreuse descendance d'Abraham - les tables de la Loi - le veau d'or renversé - les couronnes des trois rois d'Israël (Saül, David puis Salomon, le royaume étant divisé à la mort de ce dernier) - la harpe symbolisant les Psaumes - le tronc coupé qui refleurira (la promesse de la venue de Jésus) - le parchemin et la plume pour les écrits sapientiaux (dont les proverbes).

Troisième fenêtre : LA PASSION DU CHRIST

Nous reconnaissons dans le désordre : le raisin et le blé (le pain et le vin de la Cène) - le fouet de la flagellation - la couronne d'épines - les clous, marteau et tenaille - les trois croix du Mont Golgotha - le roseau (?) et l'éponge imbibée de vinaigre qui devait désaltérer le Christ - le coq, rappelant les reniements de Pierre - une échelle - une coupe remplie de sang et un élément difficile à interpréter; on pencherait pourtant pour le rideau du Temple de Jérusalem qui fut déchiré au moment où le Christ mourut sur la croix.

 

 

Quatrième fenêtre : LA RESURRECTION

Des vases de parfum et de baume en bas à droite - un tombeau ouvert d'où sortent deux rais de lumière bleue en forme de V - trois éclats rouges signifiant qu'il y a eu mort d'homme dans la tombe - la fleur symbolisant Jésus sur l'arbre de Jessé - un soleil, que l'on peut facilement assimiler au Royaume de Dieu.

 

Les peintures murales du choeur

Ces peintures murales, que l'on nomme parfois à tort des fresques, sont datées de 1511. L'inscription, lisible à l'époque où elles ont été "redécouvertes" par le pasteur Herrenschneider, se situe sur la droite de la porte conduisant à la sacristie.

Ces peintures ne sont pas des fresques car c'est le mortier qui, en séchant, fixe les couleurs des fresques. Cette technique n'a pas été utilisée pour les peintures du chœur mais semble l'avoir été pour la décoration intérieure de l'arc triomphal. On remarquera la richesse de ces représentations dans les tons verts, ainsi que la décoration intérieure des fenêtres représentant des cornes d'abondance et des petits personnages fort sympathiques.

Les peintures ont été exécutées sur l'ordre des Ribeaupierre, grands amateurs d'art et mécènes généreux, qui avaient rapporté la légende de Sainte-Marguerite d'Antioche lors des croisades. Cette sainte devait être très importante pour eux, car ils lui ont dédié d'autres oeuvres.

Le nom de l'artiste demeure un mystère mais, si ce n'était pas un grand maître comme Schongauer ou Holbein l'Ancien, il s'en est beaucoup inspiré, car on reconnaît leur style, respectivement sur la voute du choeur et dans la légende de Sainte-Marguerite.

Les peintures furent restaurées en 1912 par Heinrich Ebel (sa signature figure sur le côté sud du choeur), malheureusement avec quelques erreurs d'interprétation, puis refraîchies, c'est-à-dire nettoyées en 1984-85. Elles furent classées monument historique le 6 décembre 1898 par les autorités du Reichsland, dix ans après leur "redécouverte". Elles furent intégrées dans le droit français le 16 février 1930.

La vie de Sainte-Marguerite est représentée par une sorte de "bande dessinée" en 9 scènes et sans doute légendée en latin sous chaque scène. On peut encore distinguer quelques inscriptions dans ces parties. On commence la visite par le mur gauche en entrant dans le choeur, là où se trouve la porte, puis on continue dans le sens des aiguilles d'une montre.

Préambule

Le prêtre païen Aedesius remarque que sa fille unique, Marguerite, jeune fille belle et douce, ne se rend plus aux temples et ne parle jamais des dieux. Il apprend bientôt qu'elle assiste, la nuit, aux assemblées des chrétiens. Quand Marguerite lui avoue être chrétienne, il est saisi de douleur et de colère. Il adjure sa fille de renoncer à cette "folie", mais ni les promesses, ni les menaces n'ébranlent sa foi. Alors, hors de lui, il la chasse et la dénonce au préfet romain Ollibrius, chargé d'arrêter les chrétiens. Marguerite se réfugie auprès de sa nourrice.

Scène 1

Un jour, pendant qu'elle garde les moutons, Marguerite voit venir vers elle Ollibrius et sa suite. Elle sait qu'il vient l'arrêter et elle est prête à le suivre. Mais Ollibrius ne pense plus à son devoir. Ebloui par la beauté de Marguerite, il lui demande sa main. Elle la lui refuse, déclarant qu'elle est déjà fiancée au Christ.

La deuxième peinture, située juste à côté de la scène 1, illustre symboliquement la destination du petit tabernacle (appelé Custode) encastré dans le mur. On y voit les enfants d'Israël ramassant la manne que Dieu leur envoie dans le désert (symbolisé par le pain, l'hostie), et une scène de crucifiction. Aujourd'hui, après une restauration malheureuse, nous voyons un soldat romain qui vérifie à l'aide de sa lance si Jésus est bien mort. La première interprétation, que l'on retrouve dans la description faite par Herrenschneider dans son livre, peu après la découverte des peintures, indique que le sang du Christ (symbolisé par le vin), s'écoule d'une plaie dans son flanc et est recueilli par un ange dans une coupe.

Scène 2

Ollibrius conduit la chrétienne inflexible près de la statue de l'idole (pour tenter de la sauver sans doute!). Mais Marguerite ne veut ni s'agenouiller devant elle, ni l'adorer. Elle veut rester fidèle au Christ.

Scène 3

Devant tant d'obstination, Ollibrius n'hésite pas à la faire flageller.

Note : c'est un de ces murs que l'architecte Winckler a découvert en premier en 1888. Il est signalé dans le livre de Herrenschneider que Winckler sortit son couteau et gratta le badigeon. Il trouva alors une croix de consécration et un socle. Les deux éléments ne se retrouvent que sur ces deux scènes.

Scène 4

Marguerite est restée ferme. Alors, elle est jetée en prison. Bientôt apparaît un dragon, symbole de la tentation (renier sa foi ou subir d'autres supplices?).

Scène 5

Avec l'aide du Christ que l'on aperçoit entre les nuages, elle triomphe du dragon, qui s'abat à ses pieds. Elle sort victorieuse de la tentation.

Scène 6

Marguerite est ramenée devant l'idole, qu'adorent d'autres personnes. Elle se détourne encore. A droite, son père Aedesius.

Scène 7

Pour la punir de son obstination, on l'attache sur une croix et des bourreaux arrachent sa chair à l'aide de griffes chauffées au rouge.

Scène 8

Nouveau supplice: on la plonge dans un bain d'huile bouillante.

Scène 9

Grâce à sa fermeté, Marguerite provoqua beaucoup de conversions au christianisme. Mais de nombreux nouveaux chrétiens furent décapités. Marguerite va, elle aussi, subir le même sort. Un ange se tient prêt à emporter son âme au paradis, où l'attendent les bienheureux.

Sur sa voûte gothique du coeur, on reconnaîtra aussi les symboles des quatre évangélistes, mêlés aux images des quatres Pères de l'Église d'Occident.

 

 

Les évangélistes sont : Matthieu, un homme ailé; Luc, un taureau ailé; Marc, un lion ailé; Jean, un aigle (détail ci-contre).

 

 

 

 

 

 

Les quatre Pères de l'Eglise Latine

Ambroise de Milan 340 - 397

Evêque de Milan malgré lui, élu par la voix du peuple. Avant son élection, c'était un haut fonctionnaire romain de la ville. Il fut un pasteur, plutôt socialisant, "L'empereur est dans l'église, mais non au dessus d'elle". Homme de l'Ecriture et des lettres, théologien, prédicateur très écouté. "Il fut assiégé par la foule des pauvres, au point qu'on arrivait difficilement jusqu'à lui" dira de lui, plus tard, Saint-Augustin son élève. Ambroise est mort à 57 ans.

Iéronimus 331 - 420
Seul laïc, a traduit la première bible en latin, la Vulgate. Originaire de Dalmatie dans les Balkans. Le pape Damase le charge de réviser le texte latin des Evangiles. Cette tâche s'étendra sur toute la Bible et dura vingt ans. On donnera à cette nouvelle version le nom de VULGATE qui devient le texte de référence de la Bible dans l'Eglise. De caractère difficile, Iéronimus (Jérome), se fixe, après la prise de Rome par Alaric en 410, à Bethléem en Judée. Il y termine sa vie dans un monastère qu'il avait fondé. Il est mort à 73 ans.
Saint-Augustin 354 - 430

Evêque d'Hippone en Tunisie. Mena d'abord une vie de luxe et de débauche avant de se convertir à la foi chrétienne. A 33 ans, il reçoit le baptême des mains d'Ambroise, son maître à penser. Est devenu célèbre pour ses "Confessions" rédigées après sa conversion. Philosophe de premier plan, théologien brillant, exégète, polémiste redoutable, orateur éloquent et éducateur doué, il marqua durablement de son empreinte toute la théologie de l'Eglise. L'ordre des mendiants, les Augustins, remonte à son époque. Martin Luther, avant la Réforme, fut d'abord moine augustin.

Grégoire Ier le Grand, pape de 590 à 604

Rome présente le visage de la dévastation et de la désolation en cette fin du VIème siècle. Les Lombards ont envahi et pillé la ville sainte quelques années auparavant, les eaux tumultueuses du Tibre en crue ont tout dévasté, de plus la peste sème partout la terreur et la mort. Dans leur désespoir, les romains se tournent vers un moine. On le veut comme pape ! Il est trainé de force à Saint-Pierre alors qu'il tente de fuir. Ce sera Grégoire, bientôt appelé Grégoire le Grand à cause de son humilité et de sa disponibilité au service de l'Eglise. "Voici que tout indigne et malade que je suis, j'ai reçu ce vieux navire tout brisé, qui fait eaux de toutes parts et, dans la grosse tempête qui le secoue chaque jour, ses planches pourries ont des craquements de naufrage". Par une vie consacrée à Dieu et aux hommes, Grégoire le Grand a su faire revenir l'espérance et la foi dans une Rome dévastée et en ruines.

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Des reproductions photographiques ont été présentées à l’occasion des différentes manifestations auxquelles l'association Archihw a participé (les Salons du Livre de Colmar, "Le Struwefescht" ou fête des fermes de Horbourg-Wihr...). Des expositions plus complètes et plus détaillées ont eu lieu à la mairie en octobre et novembre 2011.

 

Une conférence a été organisée avec des projections à Horbourg-Wihr le vendredi 2 décembre 2011.

Elle a été donnée par Madame Pantxika de Paepe, conservateur en chef du Musée d'Unterlinden de Colmar et spécialiste incontestée du XVIème siècle (article des Dernières Nouvelles d'Alsace du 4 janvier 2012).

Des expositions partielles permanentes sont également à l'étude.

Enfin, fidèle à ses objectifs, l'association Archihw s'est engagée sur des actions de protection et de valorisation du patrimoine de Horbourg-Wihr. Depuis plusieurs années, elle organise les visites guidées de l'église Saint-Michel en étroite collaboration avec la commune.

D'autres illustrations encore ci-dessous...